Histoire de pouvoir répondre rapidement chaque fois, j'avais pris pour habitude d'écrire plusieurs messages d'avance, auxquels il suffisait ensuite d'intégrer les quelques évolutions de la situation. Le contact avec Basshiru Jubrin ayant été perdu, il me reste deux mails qui ne seront jamais envoyés. Comme je suis d'une générosité sans borne, je vous les reproduis ici :
Mon aimable Basshiru Jubrin,
Je crains hélas que tout ne soit perdu. Ces pourceaux de bolchéviques sont aux frontières et j’entends gronder le tonnerre des canons de la Révolution. Il me faut quitter mes terres avant que ces féroces soldats ne viennent me mugir jusque dans les bras et pratiquer divers actes répréhensibles sur mes fils et mes compagnes.
J’ai déjà donné congé à mes gens ; je vous en conjure mon ami, faites-en de même après les avoir fait préparer vos bagages. Je sais qu’il est douloureux de devoir abandonner un château séculaire et familial à ces crapules sans Dieu, mais la préservation de nos vies est à ce prix.
Mon attelage est déjà prêt est je gagnerai ce soir, à la faveur de la pénombre, la forêt de Sherwood où avec quelques fidèles et gais compagnons d’armes, nous préparerons la riposte, car il n’est pas dit que le domaine sacré des Enclume restera éternellement aux mains de ces bouchers rouges. De votre côté, demandez à votre fidèle esclave maure de vous escorter de toute urgence auprès de l’abbé Chibre au couvent de Saint-Mamadou. L’abbé est un ami personnel et si vous lui demandez assistance de ma part, soyez assuré que cet homme de Dieu irréprochable vous accordera sa protection inconditionnelle en cette période de trouble qui nous menace.
Je comprends que cela vous coûte de devoir rester caché tandis que le sang d’hommes de bien sera versé au nom d’un idéal fragile et que de nombreux princes valeureux perdront leur noble vie aux mains de ces hyènes impies. Mais la guerre est un cauchemar sans fin qui ne pourrait que souiller une âme pure telle que la vôtre, Monsieur Basshiru Jubrin, et je veux vous savoir à l’abri de ses serres empoisonnées. C’est à moi, baptisé dès le plus jeune âge au feu du combat, qu’il incombe de mener cette lutte. Ne vous inquiétez pas, je ne serai pas seul dans cette longue nuit sans lune où tomberont tant de braves tandis que retentiront les feulement des chiens de guerre. Le Duc d’Huque, le Marquis de Carabas et le Brice de Nice ont promis de m’envoyer du renfort et je ne manquerai pas de fiers guerriers sous mes ordres. Si cela peut vous rassurer quant à notre nombre, j’ai déjà pris une réservation pour 300 personnes dans l’éventualité d’un dîner en Enfer ce soir. Les tables sont chères, mais la nourriture est exquise. Quoiqu'un peu trop épicée.
Vous reverrai-je, mon Basshiru Jubrin ? Seul Mars et Odin le savent, et vous savez comme ils sont, ils ne veulent jamais rien dire à l’avance, pour préserver le suspense. Je peux comprendre leur position, mais avouez que pour faire des projets d’avenir, ce n’est pas très pratique.
Si les circonstances devaient m’amener à la défaite, au trépas, à la fuite, sachez que je n’oublierais jamais vos lettres enflammées, nos échanges passionnés, le parfum de vos cheveux. Et chaque fois que j’entendrai tinter le rire triste d’un enfant malade ou le fracas des cavaliers du Rohan parcourant la Marche, mes oreilles n’auront d’yeux que pour le son mélodieux de votre nom chanté par le vent dans les branches… Basshiru Jubrin…
Il est temps pour moi de remettre ce parchemin à mon messager et de prendre les armes. Hâtez-vous, ne faites pas attendre l’abbé Chibre, qui est toujours ravi d’accueillir une nouvelle jouvencelle dans la maison du Seigneur.
Eternellement à vous,
Votre chevalier, M. Enclume
-------------------------------
M. Basshiru Jubrin, mon ami fidèle,
Vous avez peut-être été surpris par mon courrier précédent et je vous présente mes plus plates excuses. Il s’agissait évidemment, vous l'aurez compris à la lecture, d’une commande pour un pain-surprise que je comptais adresser à ma boulangère (dont je vous ai déjà parlé), mais que je vous ai envoyé par erreur du fait de la similitude de vos adresses e-mail à tous deux. Avouez tout de même que le quiproquo est assez cocasse et savoureux !
Evidemment, je suppose aussi que vous devez être inquiet qu’une telle fausse manœuvre ait pu se produire alors que nous sommes en train de traiter une affaire nécessitant un secret absolu et une prudence sans faille. Je tiens à vous rassurer : l’erreur est réparée, nous aurons quand même le pain-surprise à temps pour le pot de départ de Jean-Jacques, qui nous quitte après 27 ans de bons et loyaux services à la quincaillerie. Croyez bien que ce n’est pas de gaieté de cœur que je licencie ce brave homme dont la conscience professionnelle n’a jamais été mise en défaut mais les hommes d’affaires importants comme vous et moi sont souvent amenés à faire ainsi, pour le bien commun, des choix douloureux.
Pour le reste, là non plus ne vous inquiétez pas, ce léger incident ne signifie pas que ma boulangère a, quant à elle, reçu un message qui vous était destiné. Je sais l’importance de la discrétion dans cette affaire où la confusion est telle qu’il devient difficile de distinguer ses amis de ses ennemis. Mais soyez sans crainte, même au plus fort de nos ébats, dans ces moments où l’on a tendance à laisser de côté la raison pour laisser parler nos instincts primaux les plus enfouis, jamais je n’ai eu la faiblesse de lâcher un "Ah Jeannine ma ribaude, si tu savais tout le pognon qu’on va se faire avec le coup de la veuve Foutounké et de Walter Mishmack l’ingénieur australien, on va nager dans les lingots d’or ma grosse cochonne dévergondée insatiable" ou toute autre remarque de ce genre. Jamais je ne lui ai révélé de numéros de compte ou d’adresse e-mail, pas même en pleine éjaculation faciale. Je ne suis pas de ces bavards qui exposent au grand jour les affaires secrètes et importantes, comme tant de gens le font de nos jours en déballant leurs négociations privées par internet, sur des blogs ou des forums.
Ces dossiers restent évidemment entre vous et moi seuls. Les gens ne doivent pas savoir ; l’opinion publique n’est pas prête à accepter cela. C’est pareil avec tous les grands visionnaires ; quand Galilée a inventé la gravitation universelle, au départ tout le monde l’a pris pour un fou, et pourtant aujourd’hui tout le monde s’en sert aussi naturellement que d’un téléphone portable ou d’un accélérateur de particules. Bref, tout ça pour vous dire que personne d’autre que nous n’est au courant. Tenez, je vais même vous faire une confidence : je tiens moi-même à en savoir le moins possible pour éviter de trop m’en dire et de tout faire rater, et je consomme à cette fin de fortes doses de psychotropes expérimentaux qui devraient, à terme, me permettre de subir des lésions permanentes au cerveau. De cette façon, impossible d’éventer le secret et de voir nos projets de richesses contrariés par des gens moins honnêtes que nous.
Je vous laisse, je dois passer "prendre le pain" si vous voyez ce que je veux dire, nudge-nudge-wink-wink-say-no-more.
Boulangèrement vôtre,
Monsieur Enclume
Mon aimable Basshiru Jubrin,
Je crains hélas que tout ne soit perdu. Ces pourceaux de bolchéviques sont aux frontières et j’entends gronder le tonnerre des canons de la Révolution. Il me faut quitter mes terres avant que ces féroces soldats ne viennent me mugir jusque dans les bras et pratiquer divers actes répréhensibles sur mes fils et mes compagnes.
J’ai déjà donné congé à mes gens ; je vous en conjure mon ami, faites-en de même après les avoir fait préparer vos bagages. Je sais qu’il est douloureux de devoir abandonner un château séculaire et familial à ces crapules sans Dieu, mais la préservation de nos vies est à ce prix.
Mon attelage est déjà prêt est je gagnerai ce soir, à la faveur de la pénombre, la forêt de Sherwood où avec quelques fidèles et gais compagnons d’armes, nous préparerons la riposte, car il n’est pas dit que le domaine sacré des Enclume restera éternellement aux mains de ces bouchers rouges. De votre côté, demandez à votre fidèle esclave maure de vous escorter de toute urgence auprès de l’abbé Chibre au couvent de Saint-Mamadou. L’abbé est un ami personnel et si vous lui demandez assistance de ma part, soyez assuré que cet homme de Dieu irréprochable vous accordera sa protection inconditionnelle en cette période de trouble qui nous menace.
Je comprends que cela vous coûte de devoir rester caché tandis que le sang d’hommes de bien sera versé au nom d’un idéal fragile et que de nombreux princes valeureux perdront leur noble vie aux mains de ces hyènes impies. Mais la guerre est un cauchemar sans fin qui ne pourrait que souiller une âme pure telle que la vôtre, Monsieur Basshiru Jubrin, et je veux vous savoir à l’abri de ses serres empoisonnées. C’est à moi, baptisé dès le plus jeune âge au feu du combat, qu’il incombe de mener cette lutte. Ne vous inquiétez pas, je ne serai pas seul dans cette longue nuit sans lune où tomberont tant de braves tandis que retentiront les feulement des chiens de guerre. Le Duc d’Huque, le Marquis de Carabas et le Brice de Nice ont promis de m’envoyer du renfort et je ne manquerai pas de fiers guerriers sous mes ordres. Si cela peut vous rassurer quant à notre nombre, j’ai déjà pris une réservation pour 300 personnes dans l’éventualité d’un dîner en Enfer ce soir. Les tables sont chères, mais la nourriture est exquise. Quoiqu'un peu trop épicée.
Vous reverrai-je, mon Basshiru Jubrin ? Seul Mars et Odin le savent, et vous savez comme ils sont, ils ne veulent jamais rien dire à l’avance, pour préserver le suspense. Je peux comprendre leur position, mais avouez que pour faire des projets d’avenir, ce n’est pas très pratique.
Si les circonstances devaient m’amener à la défaite, au trépas, à la fuite, sachez que je n’oublierais jamais vos lettres enflammées, nos échanges passionnés, le parfum de vos cheveux. Et chaque fois que j’entendrai tinter le rire triste d’un enfant malade ou le fracas des cavaliers du Rohan parcourant la Marche, mes oreilles n’auront d’yeux que pour le son mélodieux de votre nom chanté par le vent dans les branches… Basshiru Jubrin…
Il est temps pour moi de remettre ce parchemin à mon messager et de prendre les armes. Hâtez-vous, ne faites pas attendre l’abbé Chibre, qui est toujours ravi d’accueillir une nouvelle jouvencelle dans la maison du Seigneur.
Eternellement à vous,
Votre chevalier, M. Enclume
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M. Basshiru Jubrin, mon ami fidèle,
Vous avez peut-être été surpris par mon courrier précédent et je vous présente mes plus plates excuses. Il s’agissait évidemment, vous l'aurez compris à la lecture, d’une commande pour un pain-surprise que je comptais adresser à ma boulangère (dont je vous ai déjà parlé), mais que je vous ai envoyé par erreur du fait de la similitude de vos adresses e-mail à tous deux. Avouez tout de même que le quiproquo est assez cocasse et savoureux !
Evidemment, je suppose aussi que vous devez être inquiet qu’une telle fausse manœuvre ait pu se produire alors que nous sommes en train de traiter une affaire nécessitant un secret absolu et une prudence sans faille. Je tiens à vous rassurer : l’erreur est réparée, nous aurons quand même le pain-surprise à temps pour le pot de départ de Jean-Jacques, qui nous quitte après 27 ans de bons et loyaux services à la quincaillerie. Croyez bien que ce n’est pas de gaieté de cœur que je licencie ce brave homme dont la conscience professionnelle n’a jamais été mise en défaut mais les hommes d’affaires importants comme vous et moi sont souvent amenés à faire ainsi, pour le bien commun, des choix douloureux.
Pour le reste, là non plus ne vous inquiétez pas, ce léger incident ne signifie pas que ma boulangère a, quant à elle, reçu un message qui vous était destiné. Je sais l’importance de la discrétion dans cette affaire où la confusion est telle qu’il devient difficile de distinguer ses amis de ses ennemis. Mais soyez sans crainte, même au plus fort de nos ébats, dans ces moments où l’on a tendance à laisser de côté la raison pour laisser parler nos instincts primaux les plus enfouis, jamais je n’ai eu la faiblesse de lâcher un "Ah Jeannine ma ribaude, si tu savais tout le pognon qu’on va se faire avec le coup de la veuve Foutounké et de Walter Mishmack l’ingénieur australien, on va nager dans les lingots d’or ma grosse cochonne dévergondée insatiable" ou toute autre remarque de ce genre. Jamais je ne lui ai révélé de numéros de compte ou d’adresse e-mail, pas même en pleine éjaculation faciale. Je ne suis pas de ces bavards qui exposent au grand jour les affaires secrètes et importantes, comme tant de gens le font de nos jours en déballant leurs négociations privées par internet, sur des blogs ou des forums.
Ces dossiers restent évidemment entre vous et moi seuls. Les gens ne doivent pas savoir ; l’opinion publique n’est pas prête à accepter cela. C’est pareil avec tous les grands visionnaires ; quand Galilée a inventé la gravitation universelle, au départ tout le monde l’a pris pour un fou, et pourtant aujourd’hui tout le monde s’en sert aussi naturellement que d’un téléphone portable ou d’un accélérateur de particules. Bref, tout ça pour vous dire que personne d’autre que nous n’est au courant. Tenez, je vais même vous faire une confidence : je tiens moi-même à en savoir le moins possible pour éviter de trop m’en dire et de tout faire rater, et je consomme à cette fin de fortes doses de psychotropes expérimentaux qui devraient, à terme, me permettre de subir des lésions permanentes au cerveau. De cette façon, impossible d’éventer le secret et de voir nos projets de richesses contrariés par des gens moins honnêtes que nous.
Je vous laisse, je dois passer "prendre le pain" si vous voyez ce que je veux dire, nudge-nudge-wink-wink-say-no-more.
Boulangèrement vôtre,
Monsieur Enclume